« Adroit, touche-à-tout, indiscret, artiste, industrieux…, si je fais le portrait du bricoleur-type ». Cette définition de Colette trouvée dans le dictionnaire pourrait correspondre à Grégoire Faugeras.
Grégoire Faugeras arrange, manipule, dénature les objets. Il les transporte, les dispose, les travestit.
Il n’est pourtant pas libre de ses choix, les objets lui dictant sa conduite. En effet, il ne choisit pas ses outils de création ; ce sont eux qui s’imposent, par leur pouvoir de séduction. Séduction a priori discutable : attirance définie par leurs couleurs, aussi criardes les unes que les autres, par leurs origines, pauvres et populaires, par leur rudimentaire malléabilité. Prétentieux, ces objets ne souhaitent pas croupir dans les entrepôts parmi tant d’autres articles, refusent de s’attarder sous les projecteurs des fêtes foraines, fuient la manipulation maladroite des utilisateurs. Oui, ils ont envie d’un ailleurs, de mener une nouvelle vie. Et Grégoire Faugeras est là, comme appât. Ces objets l’ont compris. Ils ne choisissent pas n’importe qui. Ils adoptent un ingénieux, un créateur, un joyeux luron, mais attention, pas un fumiste. Grégoire Faugeras aime les objets. Il les chérit, les manie avec précaution, les honore. Leurs différences de texture, de tonalité, de résonance n’empêchent pas l’artiste de les unir. Malgré une affinité loin d’être manifeste, ces objets se chevauchent, se cachent, s’embrassent, s’emboîtent. L’entente est cordiale, voire joyeuse, amoureuse. La palette chromatique devient mosaïque, l’enchevêtrement tissulaire devient tapisserie, le métissage d’intensités matérielles devient volume. Grégoire Faugeras magicien ? Bricoleur de couleurs tout simplement. Le plasticien se vautre dans la couleur avec une jouissance extraordinaire, laissant ainsi le spectateur dans une imagerie baroque : confiserie, ambiance psychédélique ou décor de cirque. Son œuvre est également minimaliste, offrant des volumes simples et parfois épurés.
Entre peintures, sculptures, installations, le spectateur ne sait où se donner de la tête, pris dans un tourbillon de couleurs et de formes. Que regarder et comment regarder ?
« Rainy Days ». Installation de trois parapluies aux couleurs acidulées (ombrelles de poussettes ?), tournant doucement, de façon incessante et parfois grinçante, à l’aide d’un ventilateur de plafond, faiblement posé sur un socle recouvert d’une fourrure verte. Comment ne pas penser à l’univers des enfants, aux terrains de jeux, aux manèges, mais aussi à la mécanique des « Parapluies de Cherbourg » ou encore à la scène troublante du film de série B ? Sous la couleur, le tragique respire. De ce paysage fardé émane une atmosphère inquiétante, une absence… la disparition. La légèreté de Grégoire Faugeras est ambiguë…
Entre la brillance, la matité et la superposition des matières, le tableau « Sans titre » est à la fois générateur de déperdition et d’intensification de couleurs, est à la fois individuel et producteur de nouveaux espaces. Comme un buvard, il s’imprègne du dedans et du dehors, de la subjectivité et de l’objectivité. Tableau, relief et écran. Visions fugitives. De l’autre côté du miroir.
Grégoire Faugeras assume son inspiration duchampienne avec « ROSE des vases T ». Par son aspect formel, sa couleur et son titre, cette œuvre, mi-masculine, mi-féminine, n’est pas sans rappeler les ready-mades et le fameux Rrose Sélavy de Marcel Duchamp. Grégoire joue sur l’antinomie de « ROSE des vastes T » (rose dévastée) et « Rrose Sélavy » (Eros c’est la vie). Sous le jeu et la passion, se cache encore une fois une fugacité et une instabilité, matérielles et corporelles.
Grégoire Faugeras : bricoleur de couleurs ou coloriste de vicissitudes ?
Stéphanie Barbon
Septembre 2007