Dans le jardin, les rouges-queues à front blanc sont revenus du Sahel. Comme chaque année, ils s’installent discrètement dans le nichoir suspendu au mur. De là, ils exécutent un ballet incessant pour nourrir leurs petits. Derrière la fenêtre, une table ronde, un vase, un iris, pétales largement ouverts, pistils déployés, sexe béant. Stéphanie Barbon travaille patiemment. Les encres fusent sur le papier blanc. Le temps s’écoule. Les transparences et les ombres changent lentement tandis que le dessin se forme, là, face au jardin, loin de la fébrilité des rouges-queues qui marque cette fin de printemps. Au-dehors, les nombreuses pluies des semaines précédentes ont rendu les parterres exubérants avec une grande variété de nuances de verts. On ne sait où se situe l’œuvre, dedans ou dehors, à moins que ce soit la même chose car, lorsque Stéphanie Barbon ne peint pas, elle laisse croître cette petite jungle patiemment domestiquée pour arriver à cet équilibre où on ne sait plus départager le hasard de la culture.
La séance de peinture dure plusieurs heures. La fleur s’ouvre à vue d’œil, les pétales se lovent sur elles-mêmes et même leurs couleurs changent. Le soleil tourne, les ombres évoluent sans cesse. Peu à peu, sur la feuille, ce n’est plus un iris qui est peint, mais un univers en soi qui s’étend, né de cette longue méditation autour de la fleur tandis que sortent des pétales diaphanes des irisations cosmiques. L’iris se dissout sur le papier blanc. Dehors, les fleurs éclatent, et au-dedans, un univers se crée. Aucun paradoxe entre le dedans et le dehors puisqu'ici tout est réuni. L’artiste, en se recueillant, part dans une exploration qui la porte au-delà du clos du jardin. Est-ce une fleur qui finalement restera sur le papier ? Est-ce la perception du soleil qui lentement aura décrit l’univers sensible et changeant sur les pétales transparents ? La vie palpite dans le dessin jusqu’à ce qu’il soit achevé et cette palpitation continue bien après encore. Il témoigne de cette méditation sur le temps qui passe et de la vie qui appelle.
La menthe est quasiment verte fluorescente, les roses totalement épanouies au point que des pétales jonchent le sol ; cette année le pêcher ploie sous ses fruits, des abeilles parcourent le thym et la bourrache en fleurs, les raisins encore en grain préparent déjà la fin de l’été. Le dessin est achevé, il reste un moment là, face à la fenêtre, et continue à s’impressionner toute cette vie. Le moment où fleuriront les iris est patiemment attendu chaque année, bref instant où la fleur à peine éclose ne durera que quelques jours. Le dessin témoignera de cette efflorescence fugace. Le soleil continue à tourner et les ombres entrent maintenant profondément dans le salon. Encadré, l’iris somptueux trône dans son royaume de papier, encore un instant il reste le centre autour duquel gravite le monde. Puis, la saison passera, les oisillons prendront leur envol et l’hiver fera basculer le jardin dans le repos. Les flacons d’encre, les pinceaux et le papier seront rangés mais le dessin univers restera et le regard continuera à se perdre dans ce sexe de papier qui est une ode au temps vivant.
Jean Richer, 2019
Atelier de Recherche Temporelle