Rien a priori ne rapproche le travail de Patricia Cartereau à celui de François Méchain. Travail pictural et graphique pour la première, sculptural et photographique pour le second. Malgré leurs différences plastiques et générationnelles, tous deux manipulent le réel, jouent avec l’espace et obligent le spectateur à aller au-delà de ce qu’il voit. D’un contenu poétique ou politique, empreintes de rêverie ou d’aberration, leurs œuvres incorporent le végétal et l’humain, l’écorce et la chair. (1)
Patricia Cartereau et François Méchain ne sont pas à la recherche d’une fidélité rigoureuse du réel. Leurs œuvres obligent le spectateur à concentrer son regard, à dépasser sa première vision. Elles jouent avec le discutable et les illusions. Les inspirations des artistes sont un rapport à l’espace et à l’animalité pour l’une, à la terre et au paysage pour l’autre, soit un rapport à la nature commun aux deux. De rerum natura, de la nature des choses. La nature des choses est d’évoluer. Ainsi, les effets plastiques de Patricia Cartereau témoignent métaphoriquement de l’instabilité du monde. Quant à François Méchain, il est plus catégorique en dénonçant à travers ses œuvres les folies humaines. Ces deux artistes exposent un univers éphémère et chaotique, qu’ils vivent avant de retranscrire.
La nature et l’humain sont rejoints par l’animal chez Patricia Cartereau. Souvent les trois cohabitent ensemble dans un imaginaire inquiétant, proche du monde de l’enfance, mais pas seulement. Ces sujets, sous leurs formes informes, aux échelles parfois déconcertantes, sous leurs couleurs diluées et bigarrées proches d’un ton chair ou d’un ton pierre, flottant dans l’espace, prêts à tomber, rappellent davantage la peinture pariétale que l’illustration d’un conte. L’animal dans son étrangeté, dans sa présence physique ou chamanique, dans son rôle protecteur ou narratif. L’animal blessé, décharné, montrant la dureté de la vie bestiale, mis en parallèle avec l’arbre qui, déchut de sa protection naturelle, l’écorce, perd petit à petit de sa vitalité. « La peinture de Patricia Cartereau est, à l’instar de certains travaux de Giuseppe Penone qui retire l’écorce d’un arbre pour en faire apparaître le cœur, une mise à nu de notre propre chair » (2), selon Frédéric Jourdain. La sève végétale, le sang animal. Coulures picturales. Patricia Cartereau manipule à la fois la peinture à l’huile qui lui permet d’établir un travail dans la durée, le dessin et l’aquarelle qui lui demandent davantage de concentration et de rapidité d’exécution. Les techniques (encre, aquarelle, crayons de couleur, feutres) qu’elle mélange, sa rapidité de réalisation qui interdit aux encres de sécher entre chaque passage de couleur, procurent des jeux de superpositions, de transparence, de diffusion, soit d’apparition et de disparition, de réalité et d’irréalité. Animal ou enfant ? Bourgeon ou bestiole ? […] l’enfant animal, proie, mais vive et rapide, armée de bois et de griffes. […] Découvrir que l’animal en soi n’est pas mort.(3) Évocation de la thérianthropie qui désigne la transformation d’un être humain en animal ou vice-versa, dont les premières preuves d'un culte figurent dans une grotte en Ariège, à travers la représentation pariétale de deux êtres mi-hommes mi-animaux. Une image en cache et en amène une autre à la fois. Réminiscences visuelles ; voyages paléontologiques. Les stratifications graphiques et picturales de Patricia Cartereau, aux couleurs pourtant séduisantes, expriment une nature changeante, un monde fragile et menaçant. De plus, dans de grands formats, parfois à échelle un, elles imposent au spectateur un plongeon dans l’espace blanc, neutre, vide, sans ligne d’horizon ni repère, ou au contraire dans un espace que nous imaginons rural ou céleste. Images vertigineuses. Scènes indéfinies, imprécises et simultanément si présentes dans notre imaginaire collectif. Réalité altérée aux empreintes éphémères. La frontière est mince entre celle du rêve et celle du cauchemar, entre celle du conte et celle du mythe. L’œuvre de Patricia Cartereau est par essence incarnation et violence, soit mouvement et vie, que nous pouvons encore une fois identifier à l’œuvre de Giuseppe Penone, artiste de l’Arte Povera que la plasticienne affectionne. 
Giuseppe Penone établit le dialogue entre nature humaine et nature végétale. Son œuvre se caractérise par une interrogation sur le temps, l’être, le devenir, le mouvement, ainsi que par un travail sans cesse renouvelé sur le geste et la trace, la trace que l'on laisse, le geste qui façonne notre mémoire. Cette interrogation permanente et poétique des rapports de l'homme et de la nature est perceptible dans l’œuvre de François Méchain. À la fois sculpteur et photographe de ses installations, les rapports au corps et à son identité sont des thèmes présents dans son travail. François Méchain est explorateur et observateur. Il se dit un peu à la fois journaliste, historien, géographe, sociologue et amateur. L’espace s’éprouve, s’écoute, s’apprend. Sensations qu’il fait partager au spectateur. Ce dernier pénètre physiquement dans l’œuvre, dans le paysage créé. Selon le philosophe Michel Guérin, « ses photographies, […], permettent au regardeur d’entendre les branches au vent, de toucher des yeux les pierres vives et de sentir dans le cal de la main la friture des herbacées » (4). Le spectateur se transforme alors lui-même en éléments naturels, présents dans le paysage. Narcisse se métamorphose en fleur, Echo en rocher, Philémon et Baucis respectivement en chêne et en tilleul, François Méchain en alchimiste… Michel Guérin parle chez l’artiste de l’arbre comme métaphore humaine. L’arbre est homme, l’humain est tronc, comme l’œuvre de Penone, nous y revenons, exposée dans le parc du domaine de Kerguehennec en Bretagne (5), montrant un arbre qui croît dans une silhouette humaine en bronze. Sang est sève. Sauf qu’a priori, l’homme a ici pris le dessus sur la nature, le végétal n’ayant pas réussi à s’étendre. Est-ce, indépendamment de la volonté de Penone, la retranscription de la mainmise de l’homme sur le territoire, toujours prêt à le bouleverser ? C’est ce monde là que François Méchain nous invite à regarder. L’artiste se dit « inquiéteur de certitudes ». Il détourne les évidences, qu’elles proviennent de la nature ou qu’elles soient culturelles. Toutes ses pièces traitent de la relation entre l’homme et la nature, mais relèvent ces derniers temps d’un art politique, qui force à réfléchir. « Depuis quelques années François Méchain a élargi le champ, celui du sens et de la finalité, comme celui des matériaux, avec des installations in situ relevant d’un art plus critique, plus politique, dorénavant manifeste au-delà de la grille de conscience qui affleurait déjà sous la plupart de ses œuvres d’orientation écologique avant la lettre », précise sa galeriste Michèle Chomette en 2010. L’écologie, l’économie, la démocratie, la philosophie croisent la géographie, la géologie, la botanique, « toutes les données constituant "notre être au monde" » (6). L’alchimiste s’est métamorphosé en réaliste. François Méchain est passé aux prises de position, dénonçant certains actes infondés, incompréhensibles, alarmants ou… inhumains. Inhumanité, animalité. Il met le spectateur devant ses responsabilités. Sous cette gravité, l’optimisme est tout de même perceptible dans ses œuvres. « Les beaux jours ». Un optimisme cependant grinçant, voire absurde, entre joie et désespoir. L’artiste reconstruit le paysage social, le reformule, le dénonce, en en faisant un espace scénique, interrogatif. François Méchain est satisfait lorsque le spectateur est déstabilisé, désorienté, pris dans un flot d’embarras. 
Mises en scènes artificielles qui laissent entrevoir de la loyauté, événements contrôlés qui laissent place au destin. Espaces neutres possédés ; espaces façonnés inoccupés. Les œuvres de Patricia Cartereau et de François Méchain ont ainsi la particularité d’exhaler à la fois de la maîtrise et de la fragilité. Assurance et vulnérabilité de la nature, de l’animal, de la société, de l’enfant. 
De l’enfance marquée dans les sillons de nos paysages. Nos racines, notre devenir. Culture d’illusions, territoire alarmant. Le champ des sirènes.
Stéphanie Barbon
Avril 2012

1. Titre d’un roman d’Éric Pessan.
2. Extrait du texte de Frédéric Jourdain pour l’exposition de Patricia Cartereau « Dedans mes pas », Fondation Écureuil pour l'art contemporain, Toulouse, 2010.
3. Extrait du roman d’Éric Pessan, L’écorce et la chair, Les éditions du Chemin de fer, 2008.
4. Extrait du texte de Michel Guérin, François Méchain – Voir jusqu’au bout des doigts, 2007.
5. Giuseppe Penone, « Le sentier de charme », 1986, bronze et charme, collection FRAC Bretagne – œuvre exposée au domaine de Kerguehennec, dans le Morbihan en Bretagne.
6. Propos de François Méchain.
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